20/08/2010

"La mixité n’est pas une affaire de femmes. C'est une question de performance pour l'entreprise et tous ceux qui la composent"

Michel LANDEL - Directeur Général et Président du Comité Exécutif de Sodexo

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Pourquoi avez vous engagé des actions en faveur de la mixité au sein de votre groupe ? Qu'apporte la mixité ?
La mixité dans les entreprises n’est pas un choix, mais bien une obligation dans le monde actuel. Regardez les chiffres : aujourd’hui, 60 % des diplômés de l’enseignement supérieur sont des femmes, et pas seulement dans les pays développés : elles représentent 65 % en Syrie et 50 % en Arabie Saoudite par exemple. On sait également que 70 % des décisions d’achat sont prises par des femmes. Et, plus largement, il y a plus de femmes que d’hommes dans le monde !
Un groupe comme le nôtre, qui est au service de 50 millions de personnes chaque jour (dont une majorité de femmes) doit être composé d’équipes qui reflètent cette diversité.
La mixité, c’est donc avant tout un impératif business ; sans elle, on ne pourrait tout simplement pas répondre correctement aux besoins de nos clients. C’est aussi pour nous un incontournable défi d’avenir : pour soutenir nos ambitions de croissance, il nous faut recruter ou intégrer quelques centaines de milliers de collaborateurs dans le monde dans les 10 prochaines années, et nous ne pouvons pas nous passer du talent des femmes. Enfin, nous savons tous que la diversité (au sens large : âge, profil, origines, etc.) est bel et bien source d’innovation, de performance et de progrès. Ce lien a notamment été établi par McKinsey qui a fait plusieurs études remarquables sur le sujet (« Women Matter »).

Quels conseils donneriez-vous à un(e) dirigeant(e) qui souhaite engager de telles démarches ?
Un dirigeant doit d’abord s’être forgé une véritable conviction personnelle sur le sujet. Pour ma part, je suis convaincu que la diversité et l’inclusion sont un business case pour l’entreprise. Son engagement personnel direct est fondamental à la réussite du changement. Si l’on cesse de mettre la pression un instant, tout peut se relâcher… Enfin, il faut se donner les moyens de ses ambitions et investir dans la formation. Eduquer, former, est la base de tout.

Quelles sont les principales actions que vous avez mises en place ?
D’abord, il faut se donner des objectifs précis et mesurables. Ensuite, rendre l’entreprise plus inclusive signifie opérer un véritable changement de culture. La formation nous semble l’étape indispensable et le meilleur moyen d’engager les managers et d’acquérir des compétences. Au niveau du Groupe, la formation « Esprit d’inclusion », qui comporte un important volet sur le rapport hommes/femmes, a déjà permis à 25 000 managers de 10 pays d’être sensibilisés à l’enjeu de diversité et d’inclusion. Il s’agit d’un atelier d’une journée axé sur l’engagement intellectuel, émotionnel et pratique, qui permet à chacun de mettre en place un plan d’action personnel.
Nous avons également développé des programmes de mentoring (dont un programme de mentoring réciproque en Europe et le programme Spirit of Mentoring aux Etats-Unis et au Canada), et des opportunités de networking (avec du networking externe inter-entreprise puisque nous avons un partenariat avec le réseau EPWN, mais également l’existence de réseaux de femmes en interne).
Nous avons également créé en 2009 un comité de 20 femmes dirigeantes (le SWIFt : Sodexo Women’s International Forum for talent) qui me reporte directement et qui a pour objectif d’améliorer en continu notre stratégie de féminisation.
Enfin, il est indispensable de modifier les processus de gestion des Ressources Humaines, notamment sur le recrutement, et la flexibilité du travail.

Quels sont les principaux résultats (quantitatifs ou qualitatifs) ? Avez-vous eu des résultats inattendus ?
Aujourd’hui, les effectifs de Sodexo reflètent l’existence d’un plafond de verre : nous avons certes 54 % de femmes, mais le chiffre tombe à 44 % au niveau du management et 18 % dans le top 300. Nous nous sommes fixés l’objectif d’atteindre 25 % du Top 300 d’ici 2015. Ces chiffres progressent chaque année, ce qui est un signe que nos efforts paient. Mais ils ne progressent pas aussi vite que je le souhaiterais. C’est notamment pour accélérer nos progrès que nous avons créé le SWIFt dont je vous parlais plus haut.
A un niveau plus qualitatif, je suis heureux de voir de plus en plus d’initiatives individuelles lancées par des femmes qui souhaitent répondre aux enjeux de mixité qui se posent pour elles sur le terrain. Plusieurs réseaux viennent ainsi de voir le jour en Europe, dont trois en France, à l’initiative de femmes qui occupent des postes de management opérationnel et souhaitent par exemple créer des passerelles entre mondes opérationnel et fonctionnel pour promouvoir les carrières de femmes, ou bien inciter les femmes à progresser hiérarchiquement sur les sites, où seuls 15 % de nos responsables (en France) sont des femmes aujourd’hui.

Quels conseils donneriez-vous aux femmes ingénieurs, qui évoluent bien souvent dans des milieux très masculins ?
Je crois qu’il faut oser plus se mettre en avant. Un homme n’aura aucun scrupule à accepter un poste alors qu’il ne se sent pas forcément apte à 100 %. Une femme n’aura tendance à dire oui que si elle estime en être capable à 200%. Par ailleurs, participer à des réseaux me semble un excellent moyen de progresser, grâce à l’entraide, aux conseils, à l’échange sur les opportunités à saisir, les pièges à éviter, etc.

Notre revue est lue à 80% par des hommes. Y a t'il un message que vous souhaitez leur faire passer ?
Les hommes doivent accepter de ne pas savoir. Je suis un homme, je ne sais pas ce qu’est d’être une femme, c’est aussi simple que cela. Il faut en passer par cet exercice d’humilité pour commencer un dialogue constructif sur le sujet. D’où, une nouvelle fois, l’importance de la sensibilisation et de la formation.
Et puis les hommes doivent comprendre que le changement des habitudes et méthodes de travail au sein des entreprises pour les rendre plus inclusives s’adresse à tous. Hommes ou femmes, il existe un réel besoin partagé de bénéficier d’un meilleur équilibre entre le travail et la vie hors travail. Or on remarque que tous les aménagements du temps de travail, par exemple, restent de fait souvent adressés aux femmes. Dans mon entreprise, je milite pour favoriser l’égalité d’accès des hommes et des femmes à l’aménagement du temps de travail, pour le plus grand profit de tous : couples, enfants et entreprises. J’essaie de décomplexer les hommes sur le sujet : la prise de congé parental, le passage à temps partiel ne devraient plus être des sujets tabous pour les hommes. La mixité n’est pas une affaire de femmes. C’est une question de performance pour l’entreprise et tous ceux qui la composent.

Quelques chiffres sur l'emploi des femmes

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Osez !

Dominique Méda est inspectrice générale des affaires sociales. Elle dirige des recherches en sociologie, notamment sur la conciliation de la vie professionnelle et la vie familiale et sur l’égalité hommes / femmes.

Comment percevez-vous l’évolution des femmes dans la société et dans l'entreprise en France au cours des dernières années ?
On peut défendre l’idée que la situation des femmes s’améliore un peu, du point de vue notamment de l’accès à l’emploi et notamment aux emplois de cadres et de professions intermédiaires. Les jeunes femmes sont également de plus en plus diplômées et le nombre de jeunes femmes non diplômées décroît fortement, contrairement à celui des jeunes garçons. Cette situation est très importante considérant les liens étroits qu’entretiennent diplôme et insertion professionnelle. Ce qui me semble très important est que les jeunes femmes accèdent désormais en plus grand nombre à des emplois qualifiés : 48% d’entre elles occupent en 2008 un emploi de cadre ou de profession intermédiaire contre 43% des garçons (en 1984 le rapport était de 30% pour les filles contre 33% pour les garçons – Source INSEE).
Malgré tout, les femmes accèdent toujours peu aux postes de responsabilité. Si elles constituaient 41,2 % des cadres administratifs et commerciaux en 2005, elles ne représentaient que 17,2% des dirigeants de sociétés et 7,5% des dirigeants du CAC 40.

Quelles sont selon vous les raisons de la faible représentativité des femmes dans les instances dirigeantes? Quelle est la responsabilité des entreprises? Comment y remédier ?
Les raisons sont de plusieurs ordres : la première est la puissance des normes en œuvre dans nos sociétés. Même si nous sommes sortis du modèle du « male breadwinner » et de la « female carer » (Monsieur Gagne Pain et Madame au foyer), des traces profondes de ce modèle subsistent encore. Les stéréotypes ont la vie dure et on considère toujours qu’il revient principalement à la femme de s’occuper des enfants. Par ailleurs, au moment de l’orientation scolaire, les garçons et les filles continuent de faire des choix radicalement différents qui conduisent les filles dans des filières finalement moins bien rémunérées. Au sein des entreprises elles-mêmes, une organisation du travail soit-disant neutre, mais qui est en réalité calée sur le modèle masculin de la totale disponibilité pour le travail, favorise les carrières masculines. Enfin, objectivement, même si une partie des femmes peuvent se faire aider dans la prise en charge des tâches domestiques et familiales, ces dernières reposent encore en majeure partie sur elles et peuvent les contraindre à réduire leur disponibilité au travail.
Une profonde réorganisation du travail au sein des entreprises permettant aux deux parents de mener vie professionnelle et vie familiale de façon plus souple est nécessaire ; et une implication beaucoup plus forte des hommes : s’ils s’investissaient plus concrètement et dans la même mesure que les femmes dans leurs responsabilités familiales, et acceptaient parfois de mettre leur carrière en veilleuse, les carrières des femmes s’en trouveraient certainement facilitées.

Quels intérêts pourraient avoir les hommes à aider les femmes à faire éclater le plafond de verre ? Leurs intérêts ne sont-ils pas de le laisser en place ?
Il me semble que dans cette affaire, tout le monde a à y gagner : un modèle qui repose sur deux apporteurs de revenus et deux apporteurs de soins serait non seulement plus égalitaire mais diminuerait aussi une frustration des femmes qui ira grandissante si les efforts en matière de formation ne sont pas récompensés. Il faudrait donc revoir radicalement l’organisation du travail pour qu’elle permette vraiment aux parents, quel que soit leur sexe, de combiner travail et vie familiale et les normes en vigueur selon lesquelles un homme qui réduit son temps de travail pour s’occuper de ses enfants est un déviant, alors que ce comportement est considéré pour normal pour les femmes. Cette question du temps consacré par les pères aux soins aux jeunes enfants est centrale pour au moins trois raisons : l’investissement des pères dans la vie familiale est nécessaire pour avancer dans l’égalité de genre et permettre aux femmes de ne pas être les seules à modifier leur activité à la naissance d’un enfant ; par ailleurs, permettre aux hommes d’exercer pleinement leur paternité peut aussi constituer un objectif tout à fait digne d’intérêt ; enfin, la question de la place que la société fait aux tâches de soins est essentielle. Souhaitons-nous une société où nous consacrerions tous l’essentiel de notre temps au travail ? Ou bien voulons nous aussi accorder une place de choix aux tâches de soins, en faisant en sorte que celles-ci soient assurées à la fois par des institutions publiques ou privées et par la famille équitablement entre les deux parents ?

Quels conseils donneriez-vous aux femmes cadres dans une entreprise pour faire éclater ce plafond de verre ?
Oser ! Se réunir en collectif, partager leurs expériences de manière à se rendre compte qu’il leur arrive à toutes la même chose et qu’elles se trouvent donc face à une réalité collective et non individuelle ; ne surtout pas penser que la situation vient d’elles-mêmes, mais du fait qu’elles sont femmes et donc qu’objectivement leurs conditions d’insertion sont plus difficiles. En résumé : désindividualiser les problèmes, comprendre leur caractère collectif et structurel, partager, rendre visible. Toute la question me semble-t-il est également aujourd’hui de savoir si les femmes doivent, pour accéder aux responsabilités et donc à la possibilité de changer les choses, se couler dans le moule masculin de rapport au travail et s’il n’y a pas, dans cette aventure, beaucoup de choses à perdre.

Propos recueillis par Isabelle Pinault (ECM 02) et Madeleine Prévost (ECM 81)